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T E X T S

LA VIE DES CHOSES

Texte critique
par Elora Weill-Engerer
Juin 2022

Dans La Préférence pour le primitif, Ernst Gombrich explore l’idée selon laquelle les oeuvres anciennes peu élaborées seraient supérieures, d’un point de vue moral comme esthétique, sur les oeuvres ornementées et raffinées des époques postérieures. L’auteur montre la récurrence de ces formes dans l’histoire des arts visuels dont le pic se situe au XXème siècle. La pensée de la forme simple et archaïque comme douée d’immortalité est toute platonicienne, en ce que la technique de l’illusion est rejetée au profit de l’idée intelligible, laquelle se perçoit d’autant plus que les sens ne pâtissent pas d’un excès de sollicitation. L’idée est, selon Platon, enfermée dans notre corps avant notre naissance et se retrouve par l’anamnesis, la mémoire. Elle est à la fois première et canonique, ce qu’indique la double étymologie d’ « archaïque », arkhè signifiant à la fois le « début » et le « pouvoir, l’autorité ». L’archaïque reconnait donc dans un passé reculé une mémoire collective qui passe par l’affectif, le corps et le sensoriel. Dès lors, l’image commune est résurrection, retour. On ne l’a jamais vue, mais elle a toujours été là. Cela revient à dire qu’il y a un inconscient de la vision ou, avec Aby Warburg, une « survivance » (Nachleben) des images : certains archétypes traversent les époques et les cultures et continuent à fasciner les artistes. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les formes de Kethevane Cellard nous sont si familières ?

Encre noire sur papier blanc, formes pleines ou creuses, évidées ou courbées : les choses de Kethevane Cellard adoptent un langage visuel bien connu, le contraste entre l’ombre et la lumière, celui-là même qui a donné lieu aux premières écritures. L’immission d’un vocabulaire commun dans ces formes est d’autant plus forte qu’elles ne disent rien, enfermées qu’elles sont dans des postures hiératiques et solitaires dénuées d’action. Dans le même temps, l’image entretient une résistance au sens car elle ne cesse jamais de livrer du signifiant : le mystère de la forme archaïque est d’être à la fois fonctionnelle et poétique.
Même délestée de son rôle, elle perdure, car son mutisme est gage de sa survie. Ces formes simples aux tons sobres sont en effet mues par un dynamisme intérieur, un élan lent et silencieux qui pousse le rêve de la matière. Celui-ci se loge principalement dans les creux, les cavités et les rondeurs, que la psychanalyse bachelardienne associe fondamentalement au giron féminin. Plus encore, l’auteur place la première image de l’humain dans la matière chaude, le calorisme, ce qui n’est pas anodin en regard des dessins de Kethevane Cellard, puisant leurs modelés dans le pétrissage de l’argile et le polissage du bois. Cette idée est d’autant plus parlante que la technique de l’artiste est elle-même artisanale, avancant par fines hachures comme la trame d’un tissu. C’est par petits gestes, comme de courts fils de soie, que se met en place l’ « artisanat du dessin», rebelle à toute forme de hiérarchie artistique.


L’artiste nomme ses dessins des « figures », terme qui désigne dans le domaine des beaux-arts la représentation au naturel et dans sa totalité d’un être vivant. Plus spécifiquement, « figures » définit la représentation d’un être humain et « in figura » le procédé en vogue à la Renaissance qui consistait à glisser un autoportrait dans l’oeuvre peinte. Employé par Kethevane Cellard, le mot « figure » apporte vie et naturel à ces formes clairement anthropomorphes. Surtout, et si l’on joue sur les différentes définitions, il indique que la figure est une surface de projection de soi. Ainsi, ce qui est vu est aussi ce qui voit : deux yeux aux longs cils, ouverts sur le passé, le présent et le futur sont nettement dessinés sur un pot aux anses larges comme des oreilles. Il y a une organicité et un anthropomorphisme de ces choses qui rappelle que les premiers objets étaient autant utilitaires qu’habités, comme le corps, par un esprit. Le premier bol n’est-il pas formé par deux mains jointes ?

E.W-E

THE LIFE OF THINGS

Critical text
by Elora Weill-Engerer
June 2022

In La Préférence pour le primitif, Ernst Gombrich explores the idea that ancient, less elaborate works of art are morally and aesthetically superior to the embellished, refined works of later periods. The author shows how these simple forms reoccur in the history of visual arts, peaking in the 20th century. Viewing simple and archaic

forms as endowed with immortality is a Platonic idea, in that the creation of an illusion is rejected at the expense of conveying an intelligible idea, which is all the more perceptible if the senses are not over-solicited. According to Plato, ideas are enclosed in our body before our birth and are restored to memory through the

process of anamnesis. They are both primal and canonical, as indicated by the dual etymology of the word “archaic” – arkhè ἀρχή («beginning”) from ancient Greek, and *h₂ergʰ- (“to rule, command”) from Proto-Indo-European. The archaic therefore connects with a collective memory from a distant past – a memory that interacts with affect, the body, and sensory perception. At that point, the common image is resurrected, or recollected. You have never seen it, but it has always been there. This amounts to saying that there is an unconscious aspect to vision, what Aby Warburg would call “surviving images” (Nachleben): certain archetypes survive multiple eras and cultures and continue to fascinate artists. Maybe this is why the forms present in Kethevane Cellard’s work are so familiar to us?

Black ink on white paper, full or empty forms, concave or convex; Kethevane Cellard’s “things” adopt a well-known visual language: the contrast between light and shadow – the very language that gave rise to the first writing. The introduction of a common vocabulary to these forms is all the more powerful because they are mute, locked into hieratic, solitary postures, devoid of action. At the same time, the image resists the senses because it never ceases to deliver meaning; the mystery of archaic forms is that they are at once functional and poetic.

Even relieved of their function, they endure because mutism enables their survival. Indeed, these simple forms and sober tones evolve through an internal dynamism, a slow and silent momentum that drives “the dream of the material”. This dynamism can be found mainly in the hollowed-out parts, cavities and curves – what

Bachelardian psychoanalysis fundamentally associates with the feminine form. Moreover, according to Bachelard, the first images of humans were made with warm materials – what he calls “calorism” – which is relevant given that Kethevane Cellard’s drawings are based on clay models and polished wood. This notion seems particularly germane given that the artist’s technique is itself artisanal; consisting of tiny hatchings that resemble fabric. It is through these tiny markings, like short threads of silk, that the drawing’s “craft” emerges, rebelling against any form of artistic hierarchy.

The artist calls her drawings “figures”, a term that in fine arts refers to the simple representation of the totality of a living thing. More specifically, a “figure” refers to the representation of a human being, and “in figura”, the popular Renaissance-era process, consisted in inserting a self-portrait into a painting. When used by Kethevane Cellard, the word “figure” affords life and naturalness to these clearly anthropomorphic forms. Above all – if we play around with these different definitions – it indicates that the figure is a surface for the projection of the self. Thus, everything that is seen is also what sees; two eyes with long lashes – open on the past, the present and the future – are clearly visible on a pot that features large handles
resembling ears. There is an organic, anthropomorphic nature to these things, which reminds us that the first objects were equally utilitarian and inhabited – as the body is – by a spirit. After all, wasn’t the first bowl formed by a pair of cupped hands?

E. W.-E.

ARTIST STATEMENT

by Kethevane Cellard
January 2022

 

Kethevane Cellard’s work navigates between ink drawing and sculpture. Working from preparatory sketches and reading notes, the artist crafts monochrome, weightless forms, whose shapes are defined by the play of light and shadow. All are ambiguous, hybrid forms that are difficult to situate in space and time.

The figures of her ongoing series Ways To Inhabit are isolated in a void. Their bodies, possessed with a strong sense of presence, are recomposed as sculptural objects from organic or vegetal elements, archaeological fragments or tool parts. In a back and forth between time immemorial and present days, prehistorical art mingles with the contemporary body, the archaic imagination connects with science-fiction.

The drawings are large formats traced with a calligraphy fountain pen. They boast textures reminiscent of etching. This meticulous work resonates with the veins in the sculptures’ wood. The slow production process impregnates the works of Kethevane Cellard with a meditative dimension.


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DÉMARCHE ARTISTIQUE

par Kethevane Cellard
Janvier 2022

 

Le travail de Kethevane Cellard navigue entre dessin à l’encre et sculpture. À partir de croquis préparatoires et de notes de lecture, l’artiste élabore des formes flottantes et monochromatiques, façonnées par la lumière. Toutes sont hybrides, ambiguës, et difficilement situables dans l’espace ou le temps.

Les Figures de la série Manières d’habiter, sont isolées dans le vide. Leurs corps, chargés d’une intensité de présence, se recomposent en objet sculptural à partir d’éléments organiques, végétaux, de fragments archéologiques ou d’outils. Dans ce va-et-vient entre temps immémoriaux et présent, l’art préhistorique s’entrelace au corps contemporain, l’imaginaire archaïque rejoint la science-fiction.

Les dessins, de grands formats réalisés à la plume de calligraphie, arborent des textures proches de la gravure. Ce travail méticuleux trouve écho dans le riche veinage du bois des sculptures. La lenteur du processus d’exécution leste les œuvres de Kethevane Cellard d’une dimension méditative.

 

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IMPULSE I

by Yaelle Sibony Malpertu
September 2017

 

Kethevane Cellard plays with textures and invites us to cross thresholds and initiate encounters. The forms are clearly defined, but not definitive: who’s to know if they’re not pregnant with another form, or evolving into another material? She is unlike artists who display what they have seen; her creative impulse is more complex. It runs through the written word, interacts with texts, and metabolizes in her drawings and sculptures. She draws inspiration from poetry and science, creates mysteries, one-off solutions, improbable equilibria, and the innermost challenges of children and of those who keep watch.

The path betrays a deeply felt and accepted isolation. This solitude is a starting point for an attempt to reach out. Meanwhile, the definitive shape overcomes this solitude through symbolism, linking the heterogeneous, the different, and initiating the dialogue. Kethevane Cellard has a confident, mature penstroke; it produces shapes, entities with a tangible presence, whatever their size and relationships to one another. She queries the edges by using shapes to resonate with them, to observe the outcome of their immersion in a wide-open space. With no background, no perspective that might create volume, it’s up to the shapes themselves to belong and create common ground. They often defy gravity. They are lucid but not despairing: they herald changes to come.

Those Left Behind overflow with the energy that propels them forward! Where are they headed, imbued with the vitality of the uprooted? These happy few rediscover domains previously thought to be well-known. Towards which horizons do their sails swell (in Untitled with Sails), lifting boulders in their endeavour? Or are the rocks supporting them in a multi-dimensional tension? What would Escher have thought of this concurrent superposition of multiple angles? The Discussion has the structure of a chamber orchestra. Each member plays a melody to embody a shape and bring them together for the duration of the symphony. The energy deployed by each one — to come alive, to express themselves and to communicate – is palpable. We can also hear the awkward moments, the cacophony, the missed interactions, the opportunities for agreement and harmony. Three women move in unity, each one isolated but staring at one another, subject or object—depending. Their proximity shows the entanglement of their situations, in which they grow through subtle, perilous but substantial confrontations.

All those shapes point to existence as a simultaneous ongoing phenomenon as well as a determinate expression of randomness. They also spark daydreams, leading us into a familiar yet alien intimacy: they reveal remote areas of the mind, our other reality.

The very occasional use of color, to underline the movement of a shape or its gravity, and so we realize that Kethevane Cellard’s drawings are mostly devoid of color. It is the forms themselves that provide color.

 

ELAN I

par Yaelle Sibony Malpertu
Septembre 2017

 

Kethevane Cellard joue avec les matières, et invite à franchir les seuils, à tenter la rencontre. Les formes sont définies, mais pas définitives : qui sait si elles ne sont pas fécondes d’une autre forme, d’un mouvement vers une autre matière ? Elle n’est pas comme celui qui voit, puis fait voir. Son mouvement créatif est plus complexe. Il passe par l’écrit, dialogue avec les textes, et se métabolise dans des productions graphiques et sculptées. Elle se nourrit de poésie et de sciences, elle restitue énigmes, solutions ponctuelles, équilibres improbables, défis intérieurs de l’enfant et aussi de celle qui veille.

Le tracé signe une solitude ressentie et consentie. Cette solitude est un point de départ pour tenter la rencontre. Car au même moment, la forme défini(tiv)e la contourne par le symbole, met en lien l’hétérogène, le différent, et engage le dialogue. La plume avec laquelle Kéthévane Cellard dessine est sûre, mûre, elle produit les formes, entités dont on sent la présence, quelles que soient leur taille, leur place par rapport aux autres. Simultanément, elle interroge les contours en les mettant en résonance avec d’autres formes, pour voir l’effet d’immersion dans un espace ouvert. Sans fond, sans cette perspective supposée produire le relief, ce sont les formes qui s’installent et créent l’espace commun. Souvent, elles défient la gravité. Elles sont lucides, mais pas résignées : elles annoncent des mouvements avenir.

Those left behind débordent chacun d’une énergie qui les propulse! Où vont-ils avec cette énergie du déracinement ? Tels des happy few, ils déflorent ce qui prétendait être déjà exploré. Vers quel horizon se gonflent les voiles (dans le Sans titre avec voiles) qui soulèvent les pierres, ou que les pierres retiennent dans une tension multidimensionnelle ? qu’aurait pensé Escher de ce réel vu sous plusieurs angles simultanés, superposés ? La discussion ressemble, quant à elle, à un orchestre de chambre, à chacun de choisir sa musique pour animer les formes et les mettre ensemble, le temps de l’échange. On sent l’énergie déployée par chacune des entités sujets, pour s’animer, s’exprimer, communiquer. On entend aussi les moments cacophoniques, les tentatives d’échanges manqués, et la possibilité d’accords, d’échanges harmonieux. Les trois femmes évoluent ensemble, dans leur solitude et leur regard posé l’une sur l’autre, choses ou sujets –selon. Leur proximité signe la contingence des situations, qui impose de se construire dans des face-à-face subtils, périlleux, mais aussi importants.

Toutes ces formes donnent à penser simultanément l’existence comme phénomène actuel et expression déterminée de l’aléatoire. Elles donnent aussi à rêver, à entrer dans un intime connu et inconnu : elles découvrent des recoins cachés de l’imaginaire – notre autre réalité.

La couleur vient parfois, comme pour souligner le mouvement d’une forme, sa gravité, et nous nous apercevons alors que les dessins de Kéthévane Cellard en sont souvent épurés – ce sont les formes qui les colorent.

 

 

 

P R E S S

ART & DÉCORATION #555

December 2020

 

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MILK DECORATION #33

September 2020

 

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